* La peur d’être oublié

* Le comptage des pas

On n’échappe pas à ses morts. Aussi loin que vous pouvez avancer dans la vie, vos morts vous poursuivent. Mais quels morts ? A soixante et onze ansz, j’en vois passer un tous les deux ans, et passer, c’est le mot juste. Ce mort est chanteur, écrivain, homme politique… j’en passe et des meilleurs pourvu qu’ils appartiennent à mon monde. Les autres, m’affectent assez peu. Il paraît qu’aujourd’hui 30 décembre 2022, est mort une vedette du foot-ball. Pelé, je crois… et ce décès m’importe peu. Il faut que j’aille chercher plus loin dans ma mémoire, Kopa, Piantoni, la grande équipe de Reims des années cinquante… parlent à ma mémoire, mais si peu. Ma vocation footballistique ne dépassa pas celle d’arriière goal quand, au Lycée Lamartine de Mâcon, j’allais chercher au fond du trou, le ballon qui y était tombé, et ceci fait, je pouvais reprendre ma lecture, j’étais bien le seul à avoir lu, à la fin des années des années 60, les « Embarras de Paris » de Nicolas Boileau. Mais, je n’aimais pas le foot-ball, au grand plaisir de mein Yiddish Mütter, qui avait décidée que, décidément, les sports collectifs n’étaient pas fait pour moi. Tout au contraire, elle m’avait inscrit à Lunéville (Meurthe-et-Moselle) dans le cours d’escrime, dans la salle d’escrime qui accueillait, entre autres célébrités, Christan d’Oriola… « Regarde moi bien dans les yeux », me disait le maître d’arme, « Regarde moi bien dans les yeux »…. Aujourd’hui c’est une citation archétypale des films consacrés à l’autisme. Oui, je regarde dans les yeux, j’ai toujours respecté cette injonction qui m’évitait de laisser mon regard s’évader vers d’autres rêves lorsque je converse avec un normoconforme. Oui, je te regarde bien dans les yeux, mais, je vais te le dire franchement, je ne te vois pas...Je suis dans mon monde, toi, dans le tien…. Et il est probable que ces deux mondes ne se rencontreront jamais.


Non, les mondes que je rencontre, ce sont ceux de « mes » morts et le premier de ces morts, n’est autre que moi-même. C’est dur d’avoir à reconnaître, à soixante et onze ans, bientôt soixante et douze, que je suis le premier mort de ma litanie. Il vous faudra y passer comme moi. Pendant soixante cinq ans, on m’a nommé Claude Lucien Amable Virlogeux. C’est à cette age, qu’après une « fausse » tentative de suicide, j’ai décidé de prendre comme nom d’usage Claude Lucien Amable Virlogeux-Juncker. Pour vous, c’est peut-être une toute petit différence, pour moi, c’est l’espace qui sépare la mort de la vie. Il me faudra sans doute plusieurs milliers de mots pour expliquer la nature de cet espace….. et j’espère pouvoir le faire avant que le mort-vivant que je suis, puisse enfin trouver la paix.

Moi, Premier Mort. Qui se souvient du jour, de l’heure, voire de la minute de sa naissance. Je prétend que je le peux. Mais, je sais tellement peu faire la différence entre le faux et le vrai, qu’il vous faudra faire comme moi, sortir le vrai du faux et le faux du vrai. Qu’importe, de toute façon, c’est de ma vie que je parle.


Je suis donc né sous le nom de Claude Lucien Amable Virlogeux, le lundi 12 mars 1951, à Saint Amand Montrond (Cher), 197ème commune du département et 089ème sur la liste de l’état-civil, ce qui me vaut cet absurde code d’identification : 1 51 03 18 197 089. Je suis donc un garçon, né en 1951, dans le département du cher, dans la 197ème commune et 089ème sur la liste de l’état-civil. Cela me fait une sacré jambe…


J’ai probablement été ondoyé par mein Yiddish Mütter, catholique un peu bizarre qui se présentait comme adepte du catholicisme sombre de Pascal (« On fait son enfer sur terre, il n’y a donc pas besoin d’enfer à la grande résurection », qui assumait le fait qu’on la renvoie vers ses origines dans le Shtetl sans prononcer un seul mot et qui toute sa vie, femme de patron, vota trotskiste (Krivine, Larguillier, Besançenot et, si elle avait survécu à son soixante douzième anniversaire aurait voté Poutou). Et ondoyé, il fallait bien que j’en passe par là, puisque je suis né par le siège « avec les forceps », le cordon ombilical atour du cou et un agpar qui ne devait pas dépasser plus de deux. Un mort vivant vous dis-je. J’ai eu deux fils, Pierre-Simon en 1984, Étienne-Matthieu, en 1986. Dans les deux cas, il y eut problème. Pierre fut évacué de la Clinique des Lilas immédiatement après sa naissance pour séjourner plus d’un mois à l’hôpital Trousseau dans le 12ème arrondissement de Paris. Étienne fut évacuer trois jours après sa naissance vers le même hôpital mais en psychiatrie pour des convulsions pour lesquelles, il devait séjourner un mois et demi dans le même hôpital. Les non-naissances seraient-elles une tragédie familiale.


84, 86, nous sommes loin de 1951. Quel courage as-t-il fallu à mein Yiddish Mütter et à mon père, rescapé des camps de la mort, pour que je vive un peu plus que quelques minutes, dans un lieu qui était la porte d’entrée du « trou du cul du monde ». Le « trou du cul du monde » n’était guère qu’à quelque kilomètres de la Bruère-Allichamps. Maintenant on en a fait une aire de repos sur l’A 71, l’aire du « Centre de la France ». Quel centre ? La France réduite à son hexagone. Mais il devrait être mieux installé au coeur du Pacifique ou de l’Atlantique étant entendu que le capitaliste empire Français pouvait lui aussi se réclamer d’un empire sur lequel le soleil jamais ne se couchait. Mais, j’avais quelques jours et cela ne m’importait nullement. .


Je fus donc baptisé, à mon corps défenant au-dessus du baptistère de l’église de Bruère-Allichamps qui marque ce fameux centre de la France. Un baptistère, une aire de repos me voilà donc bien armé pour affronter la vie. Peu m’importe, en fait. Mein Yiddish Mütter, mon cadavre de père et l’avorton que j’étais n’y restèrent que deux ans, le temps que mon père, tout juste sorti de l’École national de céramique industrielle de Sèvres (ENSCI) fasse ses premières armes dans le métier.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les métiers d'art en danger font appel aux financements participatifs : C'est le cas des métiers de la Pierre